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En Haïti, il est plus facile de trouver un bon ingénieur civil qu’un bon maçon. Un bon ingénieur électricien qu’un bon électricien. Un bon agronome qu’un bon technicien agricole. Comme pour former une armée de généraux. Sans soldats. Comment les plans des généraux peuvent être exécutés s’il n’y a pas de bons soldats ? Le problème de la formation professionnelle a longtemps été posé. En plus du manque d’investissement dans le secteur, je pense que le problème est d’abord social, voire culturel.

Certains Haïtiens croient qu’ils doivent maltraiter les autres pour se sentir supérieurs. Est-ce un autre héritage de l’esclavage ? Combien de nous traitent leurs serviteurs comme esclaves ? Ainsi, dans tous les secteurs, on ne veut pas être dans une position pour se faire maltraiter ou humilier. Les jeunes ne veulent donc pas exercer les métiers intermédiaires. Par contre, ces mêmes jeunes sont prêts à faire n’importe quel métier dans un autre pays. Ils ne sont pas de nature complexée, c’est le mépris de l’élite haïtienne qui les complexe. Elle ne valorise pas les techniciens et les personnels de soutien. Certains jeunes préfèrent perdre leur temps dans des formations au rabais dans des universités qui n’ont d’université que le nom. Dans ce contexte, quand on tombe sur une institution qui ose offrir une formation professionnelle dans des domaines négligés par l’État que sont l’agriculture et l’environnement et qu’il y a des demandes, cela attire forcément l’attention.

ETAGE, plus qu’une école

L’École technique d’agriculture et de gestion de l’environnement (ETAGE) est une école de formation professionnelle orientée vers la création d’entreprises agricoles et la transformation de la qualité environnementale du pays. Elle est actuellement basée à Port-de-Paix.

Haïti, en particulier le département du Nord-Ouest, vit chaque jour sous des menaces environnementales sévères. Ces dernières affectent la production agricole (y compris pêche et élevage) et détériorent le cadre de vie tant dans les villes qu’à la campagne.

Malgré l’indéniable utilité du secteur agricole dans le pays, il demeure un secteur méprisé et abandonné aux mains des plus pauvres et des plus vieux. Notre classe moyenne (les professionnels, les universitaires, …) n’investit pas dans le secteur car, entre autres, les modèles de succès n’y sont pas visibles et il n’y a aucune reconnaissance envers ces pauvres entrepreneurs agricoles que sont nos paysans. ETAGE s’installe dans le secteur de la formation professionnelle pour promouvoir les techniques et méthodes de création de richesse par l’agriculture et la bonne gestion de l’environnement.

Pourquoi ETAGE est orientée vers l’entrepreneuriat ? Son directeur, l’ingénieur agronome Julien Déroy n’y va pas par quatre chemins : «C’est la stratégie la plus durable à notre sens. Dès la première année, l’étudiant se voit entrepreneur dans un domaine qu’il commence à bien maîtriser ; ce qui peut lui garantir qu’il ne chômera pas après sa formation ». Effectivement, c’est une approche qui aurait permis aux anciennes écoles moyennes d’agriculture de ne pas fermer leurs portes. « Le problème est que l’emploi dont on a rêvé n’existait pas dans la réalité. Les jeunes diplômés se retrouvent tous au chômage avec chacun une enveloppe jaune (81/2 x 11) à l’intérieur de laquelle se trouvent CV et copies de diplômes. Un long périple de recherche d’un emploi inexistant et conduisant à des déboires qui justifient généralement les migrations massives vers des terres étrangères (Canada, Chili, Brésil, Argentine, USA, République dominicaine …) », analyse le maître en sciences et gestion de l’environnement. « ETAGE existe parce qu’il y a trop de diplômés au chômage. Il n’y a pas un cours dispensé à l’école où la face « entreprendre » n’est pas visible. L’étudiant doit voir clairement ce qu’il peut concrètement réaliser avec chaque cours », se vante l’agro-entrepreneur.

L’esprit d’entrepreneuriat est l’onde qui traverse toute l’équipe de l’école, professeurs et étudiants. Pour concrétiser cette ambition, ETAGE se met en réseau avec des modèles variés d’entreprises du secteur pour partager leurs expériences avec ses étudiants, ses futurs entrepreneurs.

ETAGE-AGRIBEL, un jumelage intelligent

Le tout premier partenaire de l’ETAGE est la ferme AGRIBEL (Ferme agro-industrielle du bon éleveur). AGRIBEL étant aussi pilotée par certains dirigeants de l’ETAGE. Pour promouvoir son approche systémique respectueuse de l’environnement, la ferme AGRIBEL dispose d’une unité de fabrication d’aliments pour le bétail, de poulaillers, d’une porcherie, de plusieurs parcelles agricoles, d’un secteur apicole (production de miel) et d’une unité expérimentale de gestion et valorisation de déchets.

AGIBEL dispose d’une dizaine d’hectares dans le Plateau central et dans le Nord-Ouest, particulièrement à Port-de-Paix. À cet endroit, la ferme est carrément dédiée à la formation des étudiants de l’ETAGE. Ces derniers, selon M. Déroy, ne passent pas un jour sans passer à la ferme soit pour poursuivre leurs propres expérimentations sur l’élevage de volailles (poulets de chair, pondeuses, …), sur l’élevage des abeilles (apiculture), la production végétale mais surtout des cultures maraîchères, … soit à des travaux pratiques de toute sorte comme l’apprentissage sur la préparation d’aliments pour les animaux, le diagnostic environnemental, l’identification et la caractérisation des espèces végétales.

Des formateurs chevronnés

M. Déroy croit posséder une bonne connaissance du milieu professionnel haïtien et des qualités en networking lui permettant de faire venir des formateurs chevronnés dans un département si enclavé comme le Nord-Ouest. Les formateurs de l’ETAGE sont des cadres détenteurs de master et de doctorat, motivés de transmettre leurs compétences et leurs savoirs. Certains travaillent comme bénévoles en faisant de fréquents allers-retours Port-au-Prince – Port-de-Paix parce qu’ils croient au projet. Les travaux pratiques sont aussi animés sur le terrain par des techniciens expérimentés.

M. Déroy affirme que collaborer avec des centres de recherches, des écoles techniques et des universités tant en Haïti qu’à l’étranger dans un esprit de partage de connaissances et de savoir-faire est un passage obligé pour ETAGE. « Des conférences thématiques sont organisées non seulement pour nos étudiants, mais aussi pour le grand public du département où nous invitons les meilleurs experts haïtiens et étrangers pour élucider et débattre des thèmes pertinents à la formation que nous offrons. Des thèmes sur l’économie, la finance, les risques naturels, l’élaboration et la gestion de projet de développement durable, le montage de plan d’affaires, entre autres », poursuit le directeur.

ETAGE voudrait qu’à l’horizon 2030, le secteur agricole soit pris en main par des professionnels qui, animés par l’esprit d’entrepreneuriat et par une culture d’éco-citoyen, parviennent à développer leurs propres entreprises et contribuent à améliorer l’état environnemental du pays. C’est ce que je souhaite et j’encourage cette initiative pour le bien de l’environnement et pour le développement économique et social d’Haiti. Nous avons besoin d’autres initiatives du genre pour la restauration de notre environnement, notre cadre de vie. ETAGE est un exemple éloquent de la motivation des jeunes Haïtiens de contribuer à la nouvelle Haïti dont nous rêvons tous. Et si seulement l’État haïtien considérait sérieusement la jeunesse du pays, avec tout son potentiel, comme un acteur de changement, la descente aux enfers à laquelle nous assistons tristement aujourd’hui aurait une chance d’être stoppée, voire inversée.

Newdeskarl SAINT FLEUR

newdeskarl@gmail.com

https://lenouvelliste.com/article/199150/a-la-rencontre-de-letage