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Ce week-end dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 mars, des pluies (pendant plus de 12 heures) ont abattu la région nord d’Haiti. Beaucoup de villes sont inondées avec des pertes matérielles énormes. Officiellement 1 personne est morte et une autre est portée disparue dans la commune de Pilate. Cette pluie s’est produite également dans les zones dont les eaux sont drainées dans le fleuve Trois-Rivières, 4e plus grand bassin versant d’Haiti (~900km2). Elle traverse plusieurs villes et villages, et alimente en eau plus d’une trentaine de systèmes d’irrigation apaisant, tant bien que mal, la sécurité alimentaire de la population de cette région. Une partie du pont de Gros Morne qui relie le département du nord-ouest au reste du pays (RN5) est emportée par la force de l’eau qui a aussi entraîné 4 personnes, heureusement sauvées de justesse. Port-de-Paix est la dernière ville traversée par le fleuve avant de finir son trajet dans la mer. Dans cette ville se trouvent, entre autres, la ferme AGRIBEL et le centre de formation ETAGE qui accueillent chaque année des jeunes pour se former en agriculture et en création d’entreprises agricoles. Sous un soleil très intense en début d’après-midi où la plupart des étudiants rentraient déjà chez eux, la rivière s’est transformée en un véritable monstre qui ravage tout sur son passage. Toutes nos infrastructures installées pendant 8 bonnes années de sacrifices avec nos moyens personnels ont été saccagées, et en bonne partie anéanties. L’ensemble de nos dispositifs de formation (matériels, essais agricoles des étudiants, ruches [abeilles], poulaillers, …) a été détruit.

Pour rappel, la ferme Agribel est un espace où les étudiants donnent naissance à leurs premières idées d’affaires et y font les essais sous le regard/coaching de nos enseignants, eux-mêmes techniciens et entrepreneurs. Les exemples suivants peuvent témoigner ce que notre ferme représentait pour la communauté qu’elle desservait.

  • Depuis deux ans nos poulaillers sont co-gérés par deux étudiants qui y investissent une partie de leurs fonds et engrangent un petit revenu qui leur permet de faire face à leurs soucis quotidiens. Toute une économie se développe autour de ces poulaillers grâce auxquels une dizaine de femmes marchandes (madam sara) développe leurs activités.
  • Ayant constaté les opportunités offertes par l’apiculture, un étudiant s’est consacré à la gestion du rucher de la ferme et profite de sa nouvelle expertise pour vendre ses services aux apiculteurs amateurs de la région. Nous étions en train de mettre en place un atelier de fabrication de matériel apicole juste avant cette catastrophe.
  • Deux jeunes utilisent la ferme pour démarrer leur petite entreprise de production et de vente de plantules fruitières.
  • La ferme est aussi découpée en plusieurs petites parcelles soit pour des expérimentations encadrées par nos enseignants, soit pour des étudiants qui s’associent en petits groupes pour créer des jardins collectifs.
  • En termes de services à la communauté, la ferme est utilisée par d’autres associations ou institutions locales pour des manifestations sociales (réunions, assemblées générales, formation, loisir, etc.).

Nous avons pu sauver heureusement nos ordinateurs, nos archives et notre système d’énergie solaire récemment installé. Protéger nos matériels devenait une tache très difficile, pas seulement à cause des menaces de l’eau, mais surtout du fait de la pression d’un groupe de jeunes du quartier dont leurs maisons étaient aussi sous l’eau, qui ont fait le pillage sur le minimum qu’il nous restait.

La ferme AGRIBEL n’est qu’un petit exemple des vastes dégâts causés par cette catastrophe. Ils sont légion les agriculteurs qui empruntent de l’argent à des taux usuraires ou qui se sacrifient entièrement pour réussir une campagne agricole et utiliser leurs gains pour répondre aux besoins quotidiens de leurs familles.

La réalisation de cet évènement pluvieux extrême dans la saison normalement sèche est un indice de changement climatique mais aussi une démonstration des menaces qui planent sur Haiti surtout si les questions environnementales continuent de cesser d’être posées au niveau politique et traduites par des actions concrètes et
durables. En plus des conditions naturelles d’Haiti qui se prêtent à l’écoulement rapide des eaux (plus de 63% du territoire national sont en pente forte c’est-à-dire supérieure à 20%), Haiti s’est vu se déposséder de son tapis forestier par une descente vertigineuse pendant ces 40 dernières années jusqu’à atteindre moins de 2%. A titre d’exemple, selon un rapport du ministère haïtien des travaux publics (cité par Rosillon, 2006), la superficie boisée du plus grand bassin versant du pays (Artibonite) a perdu 10 fois sa valeur en passant de 6,800 km2 à 650 km2 sur une période de seulement 12 ans (entre 1983 à 1995). Cette catastrophe dont les dégâts sont énormes dans les zones où il n’y avait même pas de pluie, est la preuve palpable que la gestion de l’eau ne doit se faire qu’à travers une approche intégrée au sein d’une unité territoriale qu’on appelle bassin versant. Mais dans ce pays où l’Etat ne se fait plus de souci pour garantir la sécurité des citoyens, où les indices de pauvreté sont désormais les plus macabres et où, paradoxalement, les dirigeants sont les plus assoiffés de pouvoir et de l’argent en utilisant des manœuvres de corruption, ne serait-il pas un luxe de rêver d’une politique environnementale qui tienne compte des menaces du changement climatique, des problèmes économiques, d’urbanisme et d’aménagement du territoire ?